Alphonse Legros (1837-1911)
Torse de femme nue
Bronze patiné
1890
H. 53,6 ; L. 18,4 ; P. 13,8 cm
Né à Dijon en 1837, Alphonse Legros aurait fréquenté l’École des Beaux-Arts de sa ville natale avant de gagner Paris, où il travaille pour le décorateur de théâtre et d’opéra Charles Antoine Cambon. Il entre ensuite à La Petite École, alors dirigée par Horace Lecoq de Boisbaudran : il y rencontre Jules Dalou, Auguste Rodin et Henri Fantin-Latour. Celui-ci le représentera aux côtés de Whistler, Baudelaire et Manet dans son tableau Hommage à Delacroix.
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C’est en suivant les cours du soir de l’école des Beaux Arts de Paris qu’il se lie d’amitié avec le peintre James McNeill Whistler.
Encouragé par Whistler, Alphonse Legros s’installe définitivement à Londres en 1863. Il y rencontre les artistes Dante Gabriel Rossetti, Georges Frederick Watts et Sir Edward Poynter, qui le recommandent pour le poste de professeur de gravure à la Slade, où il est nommé en 1876. Membre fondateur en 1880 de la Society of Painters-Etchers, dont l’influence sur le renouveau de la gravure et de l’art du livre illustré est notable, Legros est également un médailliste et sculpteur reconnu. Lorsqu’il meurt en 1911, il est un citoyen britannique auquel la Tate Gallery rendra hommage par une très grande rétrospective.
Cet artiste polyvalent a également connu le succès en France, où une exposition est organisée par Samuel Bing dans sa galerie parisienne L’Art nouveau en 1898, avant la rétrospective du Musée du Luxembourg en 1900 par Léonce Bénédite. La dernière exposition consacrée à Alphonse Legros s’est tenue à Dijon en 1987.
Dessinateur exceptionnel (Auguste Rodin, écrira à propos de ses années à La Petite École : ”Mes dessins étaient absolument impersonnels; ceux de Legros, au contraire, étaient déjà ceux d’un maître”), Alphonse Legros sera collectionné aussi bien par Degas que par Baudelaire.
Les sculptures de Legros sont rares : en effet, malgré son amitié de longue date pour Rodin et Dalou, Legros ne se mit pas à sculpter avant la quarantaine. » (Philip Attwood, Alphonse Legros). Mais pour une technique abordée relativement tardivement, «les premières œuvres sculptées de l’artiste témoignent déjà d’une surprenante maîtrise ». (idem)
Exécuté en 1890, ce torse est de toutes les sculptures de Legros la plus purement classique. Au départ, l’artiste l’avait modelé avec ses membres, mais peu après il décida de les tronquer à l’imitation des sculptures antiques mutilées que lui avaient rendues familières ses visites au Louvre et au British Museum.
La manière exacte de sectionner les bras peut lui avoir été suggérée par l’Aphrodite de Cnide, dont les membres sont coupés pratiquement au même endroit que dans sa sculpture. L’artiste connaissait bien cette Aphrodite dont un moulage figurait dans la salle des antiques de la Slade ; peu après son arrivée à l’école, Legros l’avait dessiné devant ses étudiants. Le mouvement du corps diffère toutefois sensiblement dans l’œuvre de Legros. La position des jambes et la ligne du torse s’apparente davantage à la Vénus Médicis, mais le corps lui-même, résolument moderne, exprime la sveltesse et la jeunesse de celui de Maddalena Fionda, l’italienne qui posa également pour la Source, « la plus belle femme d’Angleterre » aux yeux de l’artiste.
Le fait de supprimer les membres permettait de surcroît à Legros d’apporter toute son attention à la beauté abstraite du torse. C’est pour les mêmes raisons que Rodin avait sculpté plusieurs figures dépourvues de membres, parmi lesquels des torses de femmes, au cours des années 1880 et 1890. Les jeunes sculpteurs appréciaient cette pratique, comment témoigne un torse de jeune fille par Francis Derwent-Wood, quelques temps assistant de Legros à la Slade. L’œuvre, bien que plus en chair, se rapproche du torse exposé ici.
Legros faisait des dessins au crayon de son modèle sous tous les angles, et modelait d’après eux la figure en argile. Il achevait ensuite la sculpture face au modèle éclairé par derrière. Il plaçait de profil la partie du corps en cours d’exécution, de façon à la faire se détacher sur le fond lumineux. Et en faisant tourner peut un peu son modèle, il pouvait ainsi s’assurer que chaque contour correspondait exactement à ses souhaits.
(In Timothy Wilcox, Alphonse Legros, catalogue de l’exposition présentée au Musée des Beaux-Arts de Dijon du 12 décembre 1987 au 15 février 1988)
Avec ce Torse de femme nue, Alphonse Legros influencera de façon profonde le mouvement de la New Sculpture. Mais la modernité de cette œuvre va au-delà de l’influence qu’elle a pu avoir sur la scène artistique Victorienne. Elle préfigure le Torse Tournant (1921) d’Alexander Archipenko, le Torso eines jungen Weibes (1910) de Wilhelm Lehmbruck et le Torse (1927) d’Henry Moore.
Œuvres en rapport
– Exemplaires en bronze : Musée d’Orsay, Fitzwilliam Museum, National Galleries of Scotland, Graves Art Gallery Sheffield, Manchester Art Gallery, William Morris Gallery (don Franck Brangwyn 1940), Art Gallery of Hamilton (Canada)
– Exemplaires en plâtre : Musée Rodin, Victoria & Albert (signé et daté 1890), Metropolitan Museum of Art (signé et daté 1892), Chastleton House Oxfordshire, Musée de Dijon (don de l’auteur 1892)
– Exemplaire en marbre : Birmingham Museum